L’actualité économique de la CEMAC est très mouvementée ces dernières semaines. En cause, l’adoption par le parlement centrafricain d’une loi donnant cours légal au Bitcoin. Promulguée par le président Faustin Archange TOUADERA, elle est désormais d’application obligatoire. Tour à tour, cette promulgation a déclenchée une série d’excitations et condamnations venant de partout. D’abord les maîtres de la finance internationale, les institutions de Bretton Woods (FMI et banque mondiale). Elles estiment que ce choix est dangereux et toxique pour la RCA.

Ensuite est venu le tour des “relais” locaux. L’Union Monétaire d’Afrique Centrale (UMAC), qui en condamnant cette décision souveraine de la RCA, crie à son illégalité au vu des conventions sous-régionales. Enfin, le gendarme de la banque, la COBAC, a frappé le dernier coup en interdisant simplement et purement la détention et l’échange des crypto-actifs par les établissements sous son contrôle.
Comment comprendre ce déchaînement des foudres contre le pouvoir de Bangui? C’est ce que nous allons essayer de décrypter.
C’est quoi le Bitcoin ?
Une monnaie cryptographique (ou crypto monnaie) est une monnaie utilisant une technologie de cryptographie. Très généralement, il s’agit de la technologie blockchain. Elle permet d’émettre des jetons (monnaie électronique) cryptographiques uniques et infalsifiables. Cette même technologie blockchain permet également l’envoi de jetons d’un détenteur A à un détenteur B, sans passer par un organisme intermédiaire. C’est ici que réside la différence avec les transferts d’argent classiques. On parle encore de transactions “Peer to Peer”. Je vous passe les détails des différentes catégories de crypto monnaies, centralisées ou décentralisées, etc.
Le BITCOIN aujourd’hui est la reine des crypto monnaies. Elle est la plus utilisée dans le monde. D’ailleurs, le Salvador a été le premier pays au monde à l’adopter comme monnaie officielle (le cas centrafricain n’est donc pas inédit). Son acquisition et son utilisation ne sont pas du tout compliqué. Il vous suffit juste d’avoir un téléphone ou un ordinateur et une connexion internet. Vous pourrez ensuite créer un portefeuille électronique, en vous rapprochant de plate-formes spécialisées comme l’appliction BITKAP.

Quels enjeux pour la République Centrafricaine ?
Nous le savons tous, l’histoire contemporaine de la RCA se ponctue par de multiples épisodes de troubles armées. Très souvent, ils cachent certaines anciennes puissances coloniales. Ces dernières n’hésitent pas à faire et défaire les gouvernants au gré de leurs intérêts.
Depuis son élection, le président Faustin Archange TOUADERA s’est retourné vers la Russie. Poutine lui fournit une aide militaire ayant permis de pacifier Bangui et sa sous région. Les forces armées de la République Centrafricaine (FACA) remportent des victoires militaires décisives sur les mouvements rebelles. Le principal est la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) qui serait dirigée par l’ancien président François BOZIZÉ. La pacification totale du pays n’est donc plus qu’une question de temps.

Mais s’il y a une chose que le président TOUADERA a bien compris, c’est qu’on ne peut durablement sortir de la guerre sans créer un dynamisme économique réel. En effet, si beaucoup de jeunes prennent les armes, c’est rarement pour des convictions politiques véritables. C’est plutôt la conséquence de la misère et de la précarité. Ainsi, le meilleur moyen de ne plus revenir à la guerre, c’est de créer des opportunités économiques pour les millions de jeunes centrafricains. Il faut que chaque jeune aille à l’école, et plus tard ait un emploi décent. Cependant pour le faire il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Les finances du pays ont cependant été fragilisées par des années de guerre. Et comme si ça ne suffisait pas, le pays est aujourd’hui sous le coup de sanctions injustes des aanciee maîtres colons.

L’objectif étant de faire plier le gouvernement en place, afin que se poursuive le cycle de guerre et de misère. La situation ne permettant pas une politique de relance par la dépense publique. Il est donc logique de se tourner vers l’investissement privé.
Problème : comment attirer des capitaux privés dans un environnement financier hostile ? L’opération militaire spéciale russe en Ukraine a montré aux yeux du monde les limites du système financier international. Il est en réalité une chimère. Si la Russie s’est vue bloqué plus de 300 milliards de dollars du jour au lendemain, quid de la République Centrafricaine demain ?

De plus, en tant que pays membre de la zone CFA, toutes les opérations financières internationales du pays passent par la France. Par conséquent, elles passent par le fameux “compte des opérations” depuis toujours décrié. Le rapprochement entre la Russie et la RCA se faisant au détriment des anciennes puissances coloniales qui se savaient toutes puissantes, nul doute que les mesures de représailles suivront. D’ailleurs, le FMI, la banque mondiale et leurs vasseaux de la sous région ont déjà démarré les hostilités.

Le Bitcoin, un choix irrationnel ?
Le choix d’adopter le Bitcoin est donc plus une décision stratégique qu’une décision opérationnelle. Comme nous l’avons expliqué plus hauts, les transactions en Bitcoin échappent totalement au contrôle du système financier international. Contourner les sanctions financières qui serront imposées à la RCA devient possible. Pour mieux comprendre, un investisseur à Brasilia qui souhaite ouvrir une usine production de jus de goyave en RCA (donc le coût est évalué à 10 milliards de F CFA) peut donc désormais créer son entreprise en Centrafrique. Par la suite, détenir les 10 milliards en Bitcoin dans son téléphone (amusant n’est-ce pas). Il peut acheter le terrain pour l’implantation en Bitcoin, payer ses fournisseurs d’équipements internationaux en Bitcoin (beaucoup d’entreprises dans le monde aujourd’hui acceptent les paiements en Bitcoin), etc. Il pourra également exporter sa production en se faisant payer en Bitcoin également. C’est un doigt d’honneur aux comptes des opérations en France !

L’enjeu n’est donc pas prioritairement l’utilisation du Bitcoin comme monnaie domestique. Évidemment, ce n’est pas tout à fait pertinent vu l’actuel niveau de développement. Il s’agit prioritairement de faire rentrer les capitaux nécessaires pour financer l’investissement privé dans le pays, assurer la relance économique et surtout créer des emplois, gage d’une paix durable !
Que faire face aux sanctions ?
En interdisant aux banques et institutions financières de posséder ou échanger les crypto monnaies, la France (qui siège de manière permanente à la BEAC ne l’oublions pas) cherche ainsi à remettre dans les rangs cet élève turbulent qu’est la République Centrafricaine. Le plan est simple : si vous ne pouvez pas convertir vos Bitcoin en CFA dans les banques, vous ne pourrez pas librement en disposer. Mais en réalité, c’est une preuve de plus de non maîtrise de la finance innovante.
En effet, les transactions en Bitcoin et autres crypto monnaies se font depuis des années sur le territoire CEMAC, sans passer par les institutions financières pour la conversion. C’est des dizaines de milliards de F CFA de transactions qui se font ainsi. Ces circuits vont simplement se perfectionner au fil du temps, au détriment du secteur bancaire !
La priorité absolue du gouvernement centrafricain aujourd’hui devrait être de se doter de deux documents stratégiques.

Se doter d’une vision stratégique
- Un plan national de développement. Les mesures d’incitation à l’investissement actuelles sont bonnes mais très insuffisantes. Elles sont plus une addition de mesures sectorielles qu’un plan macro-économique de développement. Infrastructures énergétiques, infrastructures de transports, infrastructures de télécommunications, éducation et industrie agro pastorales devraient devenir les piliers de la politique de développement. Les industries extractives ne devraient plus être une priorité avant au moins 20 ans. Le risque étant de continuer à brader le richesses minières et réactiver les conflits armés.

Un plan national de promotion de lentrepreneuriat. Une chose qu’il manque cruellement en République Centrafricaine aujourd’hui c’est l’esprit entrepreneurial. À ce rythme, le pays risque de devenir un eldorado…pour les étrangers, et non pour les centrafricains! L’heure est par conséquent à la coopération public – privé, qui s’appuiera sur les expertises locales et sous-régionales. Les jeunes centrafricains doivent pourvoir faire évoluer leur conditionnement mental. Réussir à passer de la posture de demandeur d’aide, pour celle de créateur d’opportunité. La nature a été très généreuse envers le pays, il faudrait en profiter. Ceci passe la formation, le mentorat et aussi les incitations fiscales.
Pour terminer…
Le pays peut devenir en 10 ans la plaque tournante de la finance innovante en Afrique. La Centrafrique peut devenir un exportateur net, et sans avoir besoin de gros moyens financiers.
