Il y a plusieurs siècles aujourd’hui, les Etats se faisaient la guerre dans le but d’étendre leur territoire et par ricochet leur pouvoir. L’Etat le plus puissant alors à cette époque, était sans aucun doute, celui qui possédait la plus grande armée. Mais depuis quelques décennies, les choses ont changé.
De nos jours, l’Etat le plus puissant est celui qui détient non seulement sa souveraineté économique, mais aussi une partie de la souveraineté économique des autres pays, obtenue au travers de ses investissements. Car, la guerre est devenue essentiellement économique. Et au cœur de celle-ci, le patriotisme économique occupe une place de choix.
Eu égard à cela, dans le souci de préserver les intérêts économiques de leur pays, certains experts ont créé le concept de « made in / Fabriqué en » tel un nom de code qui permet d’indiquer aux consommateurs à qui profite l’argent issu de leurs achats quotidiens.

Les origines du «made in»
Utilisé pour la première fois en Grande-Bretagne, au XIXe siècle, le concept du « made in » a été créé dans un but protectionniste. En effet, les autorités anglaises avaient remarqué que de plus en plus de produits allemands, notamment des machines, étaient importées avec succès dans leur pays.
Face à cette concurrence, elles avaient donc décidé de faire ajouter la mention «made in Germany», afin de prévenir les citoyens et les inciter à consommer britannique. Mais cela a eu l’effet contraire : grâce à cette mention sur les produits, les consommateurs anglais achetaient doublement les produits allemands, car leur qualité était réputée.
Inspirés par ce phénomène, c’est ainsi que d’autres pays se sont mis à indiquer eux aussi l’origine des produits pour faire la promotion de leur savoir-faire à l’étranger.
Le cas du Cameroun
Apparu au Cameroun depuis quelques années, le concept de “made in Cameroon“ n’a cessé de s’étendre et de s’affirmer. Notamment, depuis la signature des accords de partenariat économique entre le Cameroun et l’union européenne, qui prévoit le démantèlement de près de 80% des produits de la zone euro sans frais de douanes.

C’est ainsi que, comme l’Allemagne au 19e siècle, certains camerounais conscients des enjeux énormes de cette nouvelle guerre économique, décidèrent de promouvoir et valoriser ce concept, au travers de plusieurs associations, tels que ASENIA, Zoom Entrepreneurs, associations de jeunes entrepreneurs du Cameroun, start-up Academy, etc.
Quand dit-on qu’un produit est « made in Cameroon » ?
Tout d’abord, il est important de préciser que, contrairement aux idées reçues, “le made in Cameroon“, ne se limite pas qu’aux produits agroalimentaires, cosmétiques et textiles. Deuxièmement, il n’existe malheureusement pas encore de normes qui encadrent ce label, ce qui rend difficile la définition de ce qu’est réellement un produit made in Cameroon.
Toutefois, certains experts s’accordent sur le fait que : Le made in Cameroun renvoie à toutes les créations physiques et intellectuelles produites au moins à 60% au Cameroun, par les camerounais. Que ce soit dans le domaine musicale, pharmaceutique, aéronautique, scientifique, culinaire, numérique, ou encore dans le domaine de l’art.

Cependant, bien que ce label ne soit pas encore complètement codifié au Cameroun, l’identification d’un produit en tant que « Made In Cameroon » ne doit pas se faire au hasard. Madame Linda Ngollo, interviewée par nos confrères de starter Mag en novembre dernier, a tenu à apporter une précision :
« L’absence de critères communs prédéfinis nous plonge dans un imbroglio assez subtil. Par exemple: si j’importe un produit semi-fini et le conditionne au Cameroun en y ajoutant la fameuse mention Made In Cameroon, mérite-t-il toujours d’être considéré comme tel ? Ou encore si je me contente de m’approvisionner en matières premières sur place et que je transforme à l’extérieur ? Si des produits ont été transformés hors sol camerounais malgré un approvisionnement en matières premières, faire la promotion de leur consommation va en totale contradiction avec le Consommer Local, qui par essence implique une production/transformation locale. »
Vous l’avez compris, les critères de certification du label made in Cameroun sont encore très subjectifs, il devient nécessaire que l’Etat se saisisse réellement de cette question.
Enjeux et perspectives du made in Cameroon
A l’ère de la libre circulation des biens et des personnes, consommer made in Cameroun devient la condition sine qua non pour sauver et développer notre économie locale. Selon les données récentes publiées par l’institut national de la statistique:
«les importations au Cameroun s’élèvent à 3405,2 milliards de FCFA. » À titre d’exemple, le Cameroun a dépensé entre 2015 et 2017, près de 1000 milliards de FCFA pour l’importation du riz, du poisson et des crustacés. Ce qui représentait alors près de 20% du budget du pays en 2019».
Plus grave encore, le ministère du commerce nous informait il y’a encore quelques mois que les importations de riz au Cameroun au cours de l’année 2019 étaient supérieures à la demande nationale. Tout ceci, parce que nous avons été formatés à aimer et à consommer ce qui vient de l’extérieur.

L’Afrique en général et le Cameroun en particulier font face à plusieurs nouvelles formes de colonisation. Une colonisation alimentaire, vestimentaire, culturelle, et même spirituelle. C’est pour apporter une riposte efficace à cela que le président Thomas Sankara, dans son discours, historique à l’OUA, avait alors déclaré :
“Consommons ce que nous produisons et produisons ce que nous consommons“
Cette expression est la devise même du patriotisme économique. Consommer local, est un devoir patriotique. Plus important encore, c’est participer à la guerre économique qui se joue à présent. Consommer ce que nous produisons et produire ce que nous consommons signifie également se soigner avec les médicaments fabriqués localement, s’habiller avec des vêtements confectionnés localement.
Produisons ce que nous consommons signifie en un mot, former dans tous les secteurs, les hommes dont la nation a besoin et non des acteurs en total déphasage avec les réalités, les besoins et les perspectives du continent. Cela implique également le fait d’enseigner aux élèves notre histoire.
Consommer et produire made in Cameroon n’est pas du sectarisme, encore moins un repli identitaire ou une volonté de se marginaliser, ou de rivaliser avec le reste du monde. Il s’agit de former des camerounais capables de prendre leur destin en main, de s’affranchir de tous les mensonges qu’on leur a fait croire et de s’adapter à l’évolution du monde.

Cette notion de patriotisme économique que nous prônons a pour but de former des camerounais capables de se construire une identité forte, leur permettant de rencontrer les autres et de leur apporter eux aussi leur vision du monde. Car, une société incapable de cerner ses réalités et ses besoins, de résoudre ses propres contradictions, de répondre pleinement à ses propres interrogations et de se projeter ne peut rien apporter à l’humanité.
Au-delà des consommateurs l’Etat doit mettre sur pieds une politique visant à favoriser les entreprises nationales et leurs produits, cela au détriment des firmes étrangères. Cela implique aussi le fait de dire non aux partenariats défavorables aux intérêts nationaux. Il y a encore un espoir de faire du « made in cameroon » un emblème national, mais cela nécessite la participation de tous les fils et les filles du pays.