Au delà des débats très passionnés sur le nationalisme, la réalité économique et financière est autre chose. Je comprends que certains politiciens soient dans leur rôle d’opposants. C’est pourquoi ils disent ce que la masse veut entendre. Mais leur raisonnement est un peu trop simpliste des fois!
SINOSTEEL CAM SA va “se faire” 45.000 milliards
Quand on dit que le gouvernement va empocher 2000 milliards pendant que l’entreprise chinoise va se faire 45.000 milliards au moins, c’est vrai peut-être mais c’est faux en réalité !
45.000 milliards de bénéfice ?
Même si les hypothèses de prix stables sont retenues (ce qui n’est pas toujours garanti, je vous rappelle en 2020 que le pétrole a plongé à 1$ le baril), faire 45.000 milliards de CHIFFRE D’AFFAIRE ne signifie pas faire 45.000 milliards de bénéfice ! Il y a tout un ensemble de charges de production à supporter. Elles réduisent ainsi la marge bénéficiaire. Quand on dit 425 milliards d’investissement, il faut bien comprendre que c’est le coût de l’installation de l’entreprise (équipements et autres). Ça n’a absolument rien à voir avec les charges d’exploitation qui varient d’une année à une autre.
De plus, l’Etat du Cameroun ne supporte quasiment aucun risque. Il touche sa redevance annuelle, ce qui n’est pas le cas des chinois. En plus des risques financiers, ils supportent des risques techniques et opérationnels.
Est-ce que la SONAMINES peut?
La Sonamines c’est bien, mais Rome ne s’est pas fait en 1 jour. C’est un beau raccourci rhétorique de dire “il faut doter la Sonamines de moyens”. Mais, la réalité est toute autre.
Une entreprise ça se forge un bout après l’autre. Et ça prend du temps ! Mettre sur pied un système organisé et efficient ce n’est pas aussi facile que la cueillette des oranges. Pour une PME, ça prend 3 à 5 ans. Imaginez donc pour une entreprise industrielle… La sonamines va être capable de gérer de gros dossiers, mais pour l’instant elle ne peut pas, c’est un fait!
L’Etat peut-il investir dans la Sonamines ?
Mettre les moyens à disposition de la Sonamines: quels moyens??? L’État du Cameroun peut-il aujourd’hui sortir 425 milliards pour ce projet? Et ça c’est sans compter le besoin en fonds de roulement. Dites vous bien que du moment où vous commencez à installer l’usine au moment où vous encaissez le premier Franc de chiffre d’affaire il peut s’écouler 5 à 7 ans. Et entre temps les charges de l’entreprise doivent être réglées. Le Cameroun est en situation de crise économique, le FMI est à notre porte!
Peut-on sereinement ouvrir le capital de la Sonamines ?
Sur la question d’une ouverture potentielle du capital, oui en théorie c’est possible. Mais en réalité c’est une fausse solution.
Ouvrir le capital signifie possibilité de perte du contrôle de l’entreprise. Les investisseurs entrant procèdent à une valorisation de l’entreprise. Il existe tout un tas de techniques pour cela. Mais en résumé, on regarde ce que l’entreprise a, son savoir faire, la solidité de son écosystème. Et enfin, ce qu’elle projette d’avoir. Dans le cas de la Sonamines, nous convenons tous que les voyants ne sont pas au vert! L’État en ouvrant le capital perdra donc le contrôle à coup sûr de l’entreprise. Elle deviendra une entreprise privée de plus dans le secteur minier: retour à la situation de départ ayant justifié sa création !
Peut-on compter sur la diaspora ?
“La diaspora va investir”. Là également c’est un euphémisme. Voilà presque 10 ans que je travaille essentiellement avec la diaspora sur les questions d’investissement au Cameroun. Il existe 3 diaspora.
- La diaspora en situation difficile. Principalement c’est des personnes ayant illégalement immigrer. Ou alors ayant fallacieusement obtenu des statuts de réfugiés politiques. Elles gagnent moins de 1800€ par mois, et vivent dans une relative précarité. C’est cette diaspora que vous retrouvez majoritairement sur les réseaux matins midi et soir… Cette diaspora là n’investit rien. Ses transferts de fonds vers le pays c’est environ 150€ par mois par personne, en soutien à la famille.
- La diaspora de la classe moyenne. Chacun gagne en moyenne 2000 à 5000 € par mois. Ils exercent comme cadres dans des entreprises, ou encore ingénieurs et autres. Ils investissent en moyenne 1000€ par mois, et sont très friands d’investissement à rendement élevés et à court terme. C’est eux que vous voyez investir dans les projets agro-pastoraux à 50% de rendement annuels. Ou encore dans les sociétés qui disent faire des placements dans les crypto monnaies et autres… Très souvent ils se cassent la gueule.
- Là diaspora bourgeoise. Ils gagnent en moyenne entre 5000 et 15000€ par mois.
Ils exercent dans les professions libérales, en Free-lance, ou encore dans la finance de marché. Minoritaires, ils représentent moins de 2% de la diaspora. Chacun investit en moyenne 5000€ par mois, misant sur le long terme. Problème : ils n’aiment pas investir au Cameroun, estimant le pays trop risqué!
Donc dire qu’on va s’appuyer sur la diaspora est une ambition folle. Chercher près de 1000 milliards (environ 500 milliards pour l’investissement et 500 pour financer le besoin en fonds de roulement) auprès de la diaspora c’est être mal conseillé.
Espérer lever cela de manière domestique est encore plus utopique !!! On a vu l’exploit de La Régionale SA avec son entrée en bourse. Malgré les fanfares et tambours, à peine quelques milliards levés.
La diaspora Camerounaise n’est pas encore mature pour les gros projets. Elle peut pour l’instant se concentrer sur les PME (moins de 5 milliards de besoin).
Que faire donc?
Mon avis pour terminer, l’État devrait imposer la Sonamines comme co-concessionnaire de ce projet, et la charger du contrôle de gestion! C’est la meilleure chose à faire pour que cette entreprise grandisse! Naturellement, on peut débattre sur les aspects juridiques du contrat, notamment sur sa durée.
